L'Odyssée - Ulysse retrouve son chien Argos
Le premier texte évoqué dans ce blog fait partie d'une des grandes oeuvres de la littérature occidentale, à savoir L'Odyssée d'Homère. Dans cet extrait (chant XVII, 292-349), traduit par Leconte de Lisle, Ulysse (ici Odysseus) est rentré à Ithaque, transformé en vieillard par Athéna. Son fidèle porcher Eumée (ici Eumaios) ne l'a pas reconnu et, le prenant pour un vieillard, il l'accompagne dans son propre palais afin d'y retrouver sa femme et de préparer le massacre des Prétendants. Mais sur la route ils croisent un chien, qui reconnaît immédiatement son maître.
C'était Argos, le chien du malheureux Odysseus qui l'avait nourri lui-même autrefois, et qui n'en jouit pas, étant parti pour la sainte Ilios. Les jeunes hommes l'avaient autrefois conduit à la chasse des chèvres sauvages, des cerfs et des lièvres ; et, maintenant, en l'absence de son maître, il gisait, délaissé, sur l'amas de fumier de mulets et de boeufs qui était devant les portes, et y restait jusqu'à ce que les serviteurs d'Odysseus l'eussent emporté pour engraisser son grand verger. Et le chien Argos gisait là, rongé de vermine. Et, aussitôt, il reconnut Odysseus qui approchait, et il remua la queue et dressa les oreilles ; mais il ne put pas aller au-devant de son maître, qui, l'ayant vu, essuya une larme, en se cachant aisément d'Eumaios. Et, aussitôt, il demanda à celui-ci :
– Eumaios, voici une chose prodigieuse. Ce chien gisant sur ce fumier a un beau corps. Je ne sais si, avec cette beauté, il a été rapide à la course, ou si c'est un de ces chiens que les hommes nourrissent à leur table et que les rois élèvent à cause de leur beauté.
Et le porcher Eumaios lui répondit :
– C'est le chien d'un homme mort au loin. S'il était encore, par les formes et les qualités, tel qu'Odysseus le laissa en allant à Troiè, tu admirerais sa rapidité et sa force. Aucune bête fauve qu'il avait aperçue ne lui échappait dans les profondeurs des bois, et il était doué d'un flair excellent. Maintenant les maux l'accablent. Son maître est mort loin de sa patrie, et les servantes négligentes ne le soignent point. Les serviteurs, auxquels leurs maîtres ne commandent plus, ne veulent plus agir avec justice, car le retentissant Zeus ôte à l'homme la moitié de sa vertu, quand il le soumet à la servitude.
Ayant ainsi parlé, il entra dans la riche demeure, qu'il traversa pour se rendre au milieu des illustres prétendants. Et, aussitôt, la kèr de la noire mort saisit Argos comme il venait de revoir Odysseus après la vingtième année.